mardi 20 novembre 2012

Heavy


Le gazon est encore vert dans la banlieue. Ses habitants se promènent fièrement le long des parcs avec leurs chiens à crinière de lion. Nous sommes en novembre, en ville tout est gris, mais la banlieue, elle, reste figée en été malgré les nuits froides et le givre au sol le matin. 

Florence est sortie du décor post-moderne-ultra-épuré de la nouvelle maison de ses amis pour aller fumer une cigarette sur le balcon. Elle est la seule fumeuse de la bande maintenant. Elle est la seule qui habite encore en ville d’ailleurs. Puis, dans quelques années, la situation sera sans doute encore la même. Elle l’aime sa vie, même si la plupart de ses copains considèrent qu’elle n’a pas de but précis dans la vie. Certes, fonder une famille est un but, mais ne pas en désirer une ne signifie pas nécessairement l’absence d’objectifs de vie aussi concrets que les leurs.

Florence resta longtemps à l’extérieur obnubilée par le gazon vert. Elle en est à sa deuxième cigarette. Elle fuit le malaise. Le genre de malaise tellement dense qu’il forme une sorte de bruine opaque d’inconfort dans la pièce. Un malaise tellement épais qu’on aurait pu le trancher au couteau pour ensuite vous le servir dans votre assiette tel un gros steak, saignant et bien juteux.

Visiblement, l'idée de s'être retrouvée ici lui paraît de plus en plus absurde. Le gazon jaune devant son appartement lui manque. Le chat de ruelle qu’elle a commencé à nourrir aussi et, lui au moins, n’abordera jamais cette crinière de lion dégoutante et ridicule.

Elle prit son courage à deux mains et retourna à l’intérieur. Lorsqu’elle franchi le seuil de la porte, tout le monde s’arrêta de parler. Le malaise était oh combien palpable. Plus elle avançait dans la pièce, plus elle avait l’impression d’entrer dans un piège de saran-wrap. Les regards sur elle étaient lourds, l’air était pesant. Elle n’aurait pas dû y retourner.

Depuis la mort de son frère, les choses avaient bien changées. Le temps c’était figé mais elle avait continué d’avancer comme une automate, refusant de vieillir, refusant toute forme de futur si ce n’était pour être sans lui. Plus rien n’en valait la peine. Certes, de le dire comme ça, à voix haute devant tout le monde dans le salon n’avait pas été la meilleure idée de sa vie. Puis, d’ajouter en riant qu’ils ne devaient pas s’inquiéter pour elle car, de toute façon, elle n’aurait jamais le courage de s’ouvrir les veines n’avait pas aidé sa cause non plus.

Maintenant, elle projetait l’image qu’elle tentait de fuir depuis plus d’un an déjà. Comme si elle venait de mettre tous ses effort d’au-dessus-de-ça à la poubelle. En l’espace de trente secondes elle avait perdu toute se crédibilité de fille-forte-qui-passe-au-travers-comme-une-championne.

Elle déposa son sac par terre dans un geste lent, presque calculé, et prit la parole : « Vous, vous imaginiez quoi bande de tarés? J’ai trouvé mon frère jumeau pendu dans sa garde-robe! Vous pensiez quoi? Que je trouve que ce n’est pas si grave que ça? Que la vie continue même si avant de le trouver j’ai eu l’impression de mourir sur un coin de rue? Que je ne savais pas ce qui m’attendait quand je suis retournée à la maison? Que la surprise a été tellement grande que je vis encore dans le déni? Il n’y a pas eu de surprise. Il n’y aura plus jamais de surprise. »

Florence reprit son sac d’un geste aussi calculé et retourna vers la porte. « Après ça, n’allez pas me demander pourquoi je ne veux pas d’enfants! » Elle poussa la porte et sortie. L’automate continua son chemin jusqu’à l’arrêt d’autobus qui allait l’amener loin, là où pousse le gazon jaune et où les surprises n’existent plus.      

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